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Crise à l’hôpital : l’organisation des soins, grande oubliée des réformes

Laurent Mériade, Université Clermont Auvergne

Le « plan d’urgence » pour l’hôpital public dévoilé par le gouvernement le 20 novembre dernier est axé sur l’octroi de moyens financiers supplémentaires aux hôpitaux – reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux (10 milliards d’euros) et hausse de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), ou au personnel – primes à certains personnels médicaux.

En revanche, l’organisation des soins dans les hôpitaux et hors les murs semble très significativement négligée. Pourtant, en filigrane, l’essentiel des revendications des personnels, comme celles des patients, concerne l’amélioration des prises en charge hospitalières : augmentation des lits disponibles, du nombre de personnel, des coordinations hôpital/médecine de ville, etc.

Les travaux de recherche portant sur les soins intégrés (integrated care) montrent pourtant qu’il existe des solutions, notamment en ce qui concerne l’amélioration des coordinations hospitalières intra- et inter-organisationnelles.

Appliquées depuis plus de 15 ans aux USA et dans de nombreux pays occidentaux, ces approches permettent d’améliorer sensiblement la productivité et la qualité des prises en charge.

Qu’entend-on par « soins intégrés » ?

Synonyme de soins coordonnés et continus, l’integrated care se situe à l’opposé des soins fragmentés et épisodiques. Plus précisément, il s’agit d’organiser les soins de telle façon que les patients reçoivent un continuum de services allant de la promotion de la santé jusqu’aux soins palliatifs et de réadaptation, en passant par la prévention des maladies et la gestion des interventions médicales.

De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui prône leur développement partout dans le monde, définit les soins intégrés comme des soins centrés sur les besoins des individus et de leurs familles.

Ils peuvent être réalisés à partir d’une structure commune physique tels qu’une maison médicale ou un hôpital de proximité, ou peuvent être mis en place au niveau organisationnel, via des réunions pluridisciplinaires ou des systèmes d’information intégrés permettant, a minima, une colocation des services de soins et une gestion des cas par une équipe multidisciplinaire.

Différentes formes de soins intégrés ont été expérimentés depuis une vingtaine d’années dans de nombreux pays occidentaux, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suède, en Finlande, en Suisse, au Canada ou en Espagne. Les deux principaux modèles testés et mis en œuvre jusqu’ici sont celui des soins intégrés individuels, adoptés pour l’ensemble d’une patientèle d’un territoire, et le modèle des soins intégrés collectifs, davantage centré sur un groupe de patients atteints d’une ou plusieurs pathologies identiques.

Les soins intégrés individuels

Concernant le modèle des soins intégrés individuels, l’exemple le plus emblématique et le plus répandu est celui du case management (gestion de cas). Il a été mis en œuvre dans les hôpitaux américains à partir des années 2000 et porté par une association nationale dédiée, l’American Case Management Association.

Le principe de la gestion des cas est de garantir la coordination des soins d’un patient par l’affectation d’un gestionnaire de cas (case manager). Il peut s’agir d’un professionnel paramédical (infirmière de soins spécialisés, manipulatrice en radiologie, laborantin d’analyses médicales, etc.) ou d’une infirmière de soins primaires qui assure le premier contact avec les patients (prévention ou premier diagnostic). Ce gestionnaire de cas, appuyé éventuellement par un gestionnaire de données médicales (data manager), organise l’ensemble des rendez-vous internes et externes des patients pris dans un établissement hospitalier.

La planification des soins est une autre approche d’intégration des soins individuels pour notamment les patients atteints de plusieurs maladies et pouvant recevoir des traitements multiples. L’objectif est d’offrir des soins plus personnalisés et plus ciblés en créant des plans de soins partagés qui décrivent les processus de soins, articulent clairement le rôle de chaque prestataire de soins et conservent des renseignements rétrospectifs et prospectifs sur l’état de santé des patients de l’établissement.

Un coordonnateur de soins évalue les besoins du patient puis planifie, négocie et coordonne la prestation de soins multidisciplinaires. Aux États-Unis, les plans de soins s’inscrivent dans ce qu’il est convenu d’appeler la « santé communautaire ». Ils s’appuient principalement sur l’influence de l’industrie de la santé (assurance maladie privée et mutuelles), qui financent, et des services sociaux, qui coordonnent les activités.

Enfin, en matière de soins intégrés individuels, des budgets personnels de santé ont été mis à l’essai aux États-Unis et au Royaume-Uni puis en Autriche, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Norvège.

Ce modèle de soins intégrés donne aux patients une plus grande autonomie. Chacun d’entre eux dispose d’un budget de soins attribué par l’assurance maladie en fonction de leurs pathologies. Une équipe du système de santé gestionnaire (par exemple le National Health Service – NHS – au Royaume-Uni) construit avec le patient un plan de soins et le revoit périodiquement. Grâce à lui, les patients peuvent acheter des services prévus dans le plan de soins auprès de différents prestataires.

Les évaluations de ce dernier système ont montré une plus grande efficacité dans la prestation des soins, principalement grâce à une meilleure continuité de soins initiés par le patient lui-même et par l’évitement des doubles emplois de soins.

Les soins intégrés collectifs

Le modèle de soins de longue durée (MCP) est le modèle de soins intégrés collectifs le plus connu. Appliqué sous diverses formes, le MCP a été mis au point en 1998 par un groupe de chercheurs du MacColl Center for Health Care Innovation aux États-Unis, notamment pour la prise en charge de personnes atteintes de maladies chroniques. Le MCP suggère de passer d’une approche aiguë et épisodique des soins à une approche plus globale qui englobe les soins longitudinaux et préventifs (notamment éducation à la santé, prévention, soins de réadaptation et palliatifs).

Un exemple pratique de MCP est illustré par le Kaiser Permanente (KP), l’une des plus grandes organisations de maintien de la santé aux États-Unis, comptant plus de 9,6 millions de membres dans huit régions du pays.

Le KP est un système virtuellement intégré composé de trois entités interdépendantes :

  • un plan de santé à but non lucratif qui supporte les risques d’assurance (Kaiser Foundation Health Plan) ;

  • des groupes médicaux autonomes à but lucratif de médecins (Permanente Medical Groups) ;

  • un système hospitalier sans but lucratif (Kaiser Foundation Hospitals).

Les Groupes Médicaux autonomes (équivalents aux cliniques privées françaises) et les Hôpitaux de la Fondation Kaiser (proches du modèle des hôpitaux publics) se partagent un budget global au niveau régional, ce qui les oblige à se coordonner en matière d’offre de soins.

Dans le modèle du KP, la patientèle reçoit des services d’éducation à la santé et de prévention ainsi qu’un accès en ligne ou téléphonique pour autogérer ses soins (fixer et annuler des rendez-vous médicaux avec des professionnels affiliés, visualiser la plupart des résultats de laboratoire, gérer sa couverture maladie et ses coûts).

Toutes les entités du KP sont mutuellement responsables des résultats et de l’expérience positive d’un patient. Par exemple, un épisode d’hospitalisation ou de réadmission de courte durée est considéré comme un échec de l’ensemble du système.

Plus près de chez nous, au Pays Basque espagnol, les soins intégrés collectifs ont été également expérimentés avec la stratégie de lutte contre la maladie d’Alzheimer et les affections connexes. Dans ce cas, l’intégration a été appliquée en fusionnant les structures hospitalières et de soins primaires en une seule organisation – les organisations intégrées de soins de santé (OSI).

Actuellement, le Pays Basque espagnol compte 13 OSI avec des bassins versants de 30 000 à 400 000 personnes. Les OSI ont créé des unités de continuité des soins (USC) pour améliorer la coordination entre les prestataires. On y trouve un ou plusieurs internes désignés, chargés de l’admission et de la stabilisation des patients chroniques. Des infirmières de liaison appuient également le parcours des patients, ainsi que la transition de l’hôpital à leur domicile, où ils seront ensuite suivis par leur médecin généraliste.

En dehors des épisodes aigus, les internes travaillent en étroite collaboration avec les médecins de famille dans la planification des soins.

L’organisation des soins, oubliée des dernières réformes hospitalières

L’ensemble de ces dispositifs de soins intégrés (individuels ou collectifs) reste relativement méconnu en France, et en tout cas très peu sollicité. On constate surtout des initiatives isolées, à l’échelle d’un établissement, d’un service, ou encore d’une collectivité territoriale par exemple dans le cadre d’une communauté de santé (comme les contrats locaux de santé, CLS ou les contrats urbains de cohésion sociale, CUCS).

L’organisation des soins, encore très centrée sur les médecins et les établissements, favorise assez peu la coordination d’un ensemble d’intervenants (infirmières, services sociaux, kinésithérapeutes, ostéopathes, etc.). Ceux-ci sont plus souvent considérés, dans le processus de soins, comme assurant une fonction de supports plutôt que comme de potentiels acteurs de coordination.

Certes, le plan ma santé 2022 a initié la formation d’infirmières de pratique avancée (plutôt pour la médecine hospitalière pour réaliser, dans le cas de pathologies chroniques, certains actes techniques de médecine ou prescrire certains médicaments et examens complémentaires) et la création d’assistants médicaux (pour décharger les médecins de ville dans la gestion des dossiers des patients et la préparation d’actes techniques).

Cependant cette mesure, probablement très appropriée dans une perspective globale de prise en charge des patients, reste très isolée des autres mesures et très partiellement dotée sur le plan financier. À elle seule, elle révèle les principaux oublis des dernières réformes hospitalières qui, en privilégiant surtout l’octroi, de manière horizontale, de moyens financiers aux hôpitaux ou au personnel, proposent assez peu de moyens, plus structurels et transversaux, pour réorganiser et coordonner les soins de ville et hospitaliers.

Les exemples réussis d’intégration de soins sont pourtant nombreux. Mais, en France, ils semblent rentrer en contradiction avec une tradition « réformiste » privilégiant les solutions catégorielles plutôt que les solutions plus globales, prenant en compte les intérêts mais aussi la participation d’un ensemble de parties prenantes (patient, hôpitaux, personnel, médecine de ville, services sociaux, etc.).

Il paraît particulièrement dommageable qu’une réflexion globale ne soit pas réellement initiée. En particulier alors que les 5 et 17 décembre prochains se mobiliseront les personnels de santé, toutes catégories confondues…The Conversation

Laurent Mériade, Enseignant chercheur en sciences de gestion – Titulaire de la chaire de recherche « santé et territoires » – IAE, Université Clermont Auvergne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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