Formations post-bac : Parcoursup, le choix de l’inscription à la carte ?​

L’interactivité du web permet de présenter des résultats de recherche de manière intuitive.
Shutterstock

Alice Riou, EM Lyon

 

Alors que la rentrée scolaire bat son plein, des touristes insouciants explorent encore les cartes d’Airbnb ou de Tripadvisor, en quête d’un lieu agréable pour profiter des derniers rayons de soleil estivaux.

Ces mêmes jours de septembre, sur un registre beaucoup plus fébrile, les bacheliers qui n’ont pas obtenu en juin d’affectation dans l’enseignement supérieur scrutent la carte des formations du site d’admissions Parcoursup à la recherche d’une place dans une université ou école post-bac. Du 25 juin au 11 septembre, la phase complémentaire leur permet en effet de postuler auprès des établissements qui n’ont pas totalement bouclé leurs listes d’inscription.

Dans les deux cas – vacances ou orientation scolaires et professionnelle –, les plans à disposition des internautes fonctionnent sur un mode intuitif. Si ces outils interactifs se ressemblent, peut-on vraiment rapprocher leurs logiques ? Et quels enseignements tirer de ces similitudes ?

Modèles touristiques

Pour sa deuxième édition en 2018-2019, la plate-forme nationale Parcoursup qui gère l’attribution des places dans l’enseignement supérieur – en remplacement du site Admissions Post-Bac (APB) – offre aux élèves en phase d’orientation un nouvel outil : une carte géographique interactive permettant de visualiser la répartition des dernières places disponibles.

Développée par le laboratoire LaBRI (Laboratoire bordelais de recherche en informatique), et basée sur les données de l’ONISEP, cette carte mise en ligne le 6 février 2019 est actualisée quotidiennement.

 

Mise en ligne en février 2019, la carte interactive de Parcoursup offre un design rassurant.
Capture d’écran

Au premier coup d’œil, il faut avouer que l’internaute aura une impression de déjà-vu. Avec ses couleurs, ses balises rouges et son système de zoom, cette représentation fondée sur la géolocalisation est devenue un incontournable du web touristique. Depuis quelques années, en effet, les designs des cartes proposées par ces sites tendent à s’homogénéiser.

De fait, on y retrouve les mêmes fonctions clefs :

  • une barre de recherche en champ libre

  • des critères pour filtrer les résultats

  • une icône de localisation, avec la possibilité d’établir des listes d’adresses

  • une fonction « zoom » pour changer d’échelle

Les cartes d’Airbnb, de Tripadvisor et de Parcoursup suivent ce design.

 

 
La carte Airbnb a inspiré les codes actuels du web touristique.
Capture d’écran

 

La carte interactive de Tripadvisor a le même style d’identité visuelle que celle d’Airbnb.
Capture d’écran
 

Héritage historique

Ces codes de représentation sont le fruit d’une histoire. C’est à Jacques Bertin, cartographe français (1918-2010), que l’on doit les premières réflexions théoriques sur le langage cartographique, proche de la sémiologie visuelle. C’est grâce à lui que toutes les cartes statistiques ont un air de famille.

Dans son laboratoire de cartographie, il mit au point des principes graphiques homogènes. Aujourd’hui on y fait encore référence dans l’enseignement universitaire de la cartographie. Jacques Bertin est en quelque sorte le père de la « datavisualisation ». Cet anglicisme désigne l’optimisation de la représentation graphique afin de faciliter la lecture de données statistiques complexes.

Avant lui, Charles Dupin, mathématicien français avait lancé la mode des cartes « chloroplèthes » (cartes thématiques où chaque couleur correspond à une mesure statistique). Cela fait donc deux siècles que des données statistiques sont représentées sur des cartes. Il est intéressant de noter que le niveau d’instruction en France a fait partie des premiers sujets explorés de cette manière – un dégradé de couleurs figurant son intensité par département.

 

Les premières cartes statistiques traitaient déjà d’éducation.

 

Ces pères de la cartographie moderne soulignaient qu’une carte est toujours une simplification du réel. C’est une construction culturelle. Une carte met en récit une réalité. Elle la raconte.

Que nous « raconte » la carte de Parcoursup ?

La présence même d’une carte comme point d’entrée pour une recherche de formation est révélatrice. Le premier critère à prendre en compte pour le choix d’une formation serait sa localisation. À bien y réfléchir, il n’est pas évident que ce soit le plus pertinent.

Pouvoir prendre de la hauteur sur une carte offre une expérience grisante. Mais ce plaisir démiurgique peut aussi conduire au vertige. En 1977, la vidéo « Powers of ten » réalisée pour IBM en montrait déjà la puissance évocatrice.

 

Zoomer, dézoomer… un vertige démiurgique !

De la même manière, zoomer et dézoomer sur la carte de Parcoursup peut plonger les jeunes bacheliers dans le plus grand désarroi, alors que le but mis en avant initialement était de les aider à « affiner leurs recherches de manière simple et intuitive ».

L’hyperchoix de la société postmoderne s’affiche ici sous forme de balises de localisation. Des milliers de formations apparaissent et s’affinent au fur et à mesure de la recherche. Un peu comme si vous aviez accès au Google Earth de la formation : des lieux à l’infini mais aucune trajectoire établie !

Si l’enjeu du parcours étudiant est bien celui de l’orientation, pourquoi avoir choisi une carte qui ne représente aucun chemin ? Le mot parcours est au cœur de Parcoursup mais la carte est vierge de tout tracé. À la carte d’Airbnb on aurait pu opposer une carte routière ou, mieux, une carte de randonnée. On y trouve des tracés, des voies mais aussi des obstacles, des points d’étapes, des refuges, des dénivelés plus ou moins abrupts.

 

Une carte de randonnée permet de fixer des points d’étapes.
Shutterstock

En matière de représentation graphique, aucun choix n’est anodin. Plutôt que de privilégier une carte interactive qui emprunte aux codes touristiques, on aurait pu imaginer d’autres symboles : une pyramide avec les frais de scolarité des plus modestes aux plus onéreux, un entonnoir avec des taux de sélection des plus bas aux plus élitistes, ou encore une maquette de maison avec les formations les plus pratiques en guise de fondations et les plus théoriques en guise d’éléments de décoration.

Les termes utilisés ne sont pas neutres non plus. Par exemple, les mots « plate-forme », « orientation », « carte » font penser à un GPS. Or Parcoursup est loin d’en posséder les fonctionnalités, comme on l’a vu, restant plus proche d’un site d’inscription que d’un outil d’aide à la décision. La prochaine version de Parcoursup s’engagera-t-elle dans cette évolution ?The Conversation

Alice Riou, Professeur Associé – Marketing et Innovation, EM Lyon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

A lire également